Le retrait des États-Unis de l'OMS est une crise massive, selon un docteur canadien
Temps de lecture :
5 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
TORONTO — Le personnel de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est «dévasté» par le décret du président Donald Trump ordonnant le retrait des États-Unis de l'agence, a déclaré un spécialiste canadien de la santé mondiale.
Le Dr Madhukar Pai, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en épidémiologie et en santé mondiale, est au siège de l'OMS à Genève cette semaine pour des réunions sur la tuberculose et il était présent au moment où M. Trump a signé le décret lundi.
«Tout est devenu fou», a déclaré M. Pai, qui est également professeur de santé mondiale à l'Université McGill à Montréal, dans une entrevue accordée mardi à Genève.
«Tout le monde ici est absolument stressé, dévasté et littéralement paniqué parce que certains de leurs programmes à l'OMS dépendent énormément du financement du gouvernement américain», a-t-il expliqué.
«Ils ne savent même pas comment maintenir les lumières allumées, faire travailler leur personnel, maintenir les programmes en marche, c'est donc une crise assez massive.»
La perte du montant important de financement que les États-Unis fournissent à l'OMS - environ 18 % de son budget en 2023, selon l'agence - constitue une menace pour la santé publique, a dit M. Pai.
«Les répercussions sont de grande ampleur, je dirais, pour tous les pays, pas seulement pour le Canada», a-t-il indiqué.
Toutefois, la proximité géographique du Canada l'expose à un risque supplémentaire si son voisin du Sud ne répond pas de manière appropriée aux menaces pour la santé publique, a affirmé M. Pai.
«Je pense que nous serons touchés, par exemple, s'il y a une nouvelle épidémie et que les États-Unis ne sont tout simplement pas engagés avec l'OMS ou la réponse mondiale. Et si cette épidémie se propage aux États-Unis… je pense que le Canada sera le premier à être touché, étant donné les mouvements de population entre nos deux pays, les échanges commerciaux et nos frontières relativement ouvertes.»
L’une des menaces actuelles est la grippe aviaire H5N1 – une souche de grippe hautement pathogène qui a décimé des fermes avicoles au Canada et aux États-Unis, a-t-il dit. Bien que la maladie ait principalement infecté des travailleurs agricoles américains présentant des symptômes légers, une personne âgée qui avait été exposée à un élevage de basse-cour en Louisiane est morte du virus au début du mois.
Le Canada a connu un cas humain confirmé de H5N1 – une adolescente de Colombie-Britannique qui est tombée gravement malade et qui a été hospitalisée.
Le Dr Pai appelle le gouvernement canadien – ainsi que d’autres pays du G7 – à «intensifier leurs efforts» et à contribuer à combler le vide financier que laisseront les États-Unis, à la fois par des contributions financières à l’OMS et en assumant un rôle de leader dans la santé mondiale.
Il a noté que les troubles politiques au Canada – y compris la course à la direction du Parti libéral pour remplacer le premier ministre Justin Trudeau et la menace de M. Trump d’imposer des tarifs punitifs au pays – pourraient rendre cette éventualité peu probable.
«Nos dirigeants sont probablement plus préoccupés par les tarifs que par toute autre chose à ce stade», a soulevé M. Pai.
Les États-Unis les plus touchés
Le Dr Prabhat Jha, directeur fondateur du Centre de recherche en santé mondiale à Unity Health Toronto, a déclaré qu’il aimerait également voir le gouvernement canadien accroître son soutien à l’OMS.
Il a toutefois dit que le pays qui souffrirait le plus du retrait de M. Trump était les États-Unis eux-mêmes.
«C'est en grande partie symbolique... M. Trump fait un doigt d'honneur au monde», a déclaré le Dr Jha, dans une entrevue depuis la Sierra Leone, en Afrique, mardi.
«En fin de compte, cela va nuire aux Américains parce qu'ils perdront les renseignements (sur la santé), ils perdront l'accès aux réseaux mondiaux s'il y a une autre pandémie», a-t-il détaillé.
«(L'OMS) ne partagera pas les informations avec les États-Unis aussi facilement qu'elle le ferait autrement.»
Une préoccupation plus importante, a ajouté M. Jha, est le message que le retrait américain «envoie sur le nationalisme».
«(Il dit) fondamentalement que vous n'avez pas besoin d'une coopération mondiale sur la maladie, ce qui est absolument stupide et complètement contre-productif.»
M. Jha a affirmé que le «bon côté» de la décision de M. Trump est qu'elle pourrait déclencher une «réforme» pour rendre l'OMS moins dépendante des États-Unis.
«Cela signifie que le monde doit coopérer davantage, même si l'Amérique fait cavalier seul.»
L'OMS ouverte au dialogue
Dans un communiqué publié mardi, l'Organisation mondiale de la santé a déclaré qu'elle «regrette» la décision de M. Trump.
«Nous espérons que les États-Unis reconsidéreront leur décision et nous sommes impatients d'engager un dialogue constructif pour maintenir le partenariat entre les États-Unis et l'OMS, au profit de la santé et du bien-être de millions de personnes dans le monde», a dit l'organisation.
Le décret de M. Trump affirmait que les États-Unis coupaient leurs liens avec l'OMS pour des raisons telles que la prétendue «mauvaise gestion de la pandémie de COVID-19» et les «paiements injustement onéreux».
M. Pai a noté que le décret intervient alors que des maladies évitables par la vaccination sont en augmentation, notamment la hausse des cas de rougeole aux États-Unis et au Canada.
En plus de perdre le leadership de l'OMS en matière de vaccination, il s'inquiète également de la «rhétorique anti-vaccin» de certains des candidats choisis par M. Trump pour occuper des postes de direction, a affirmé le Dr Pai, notant que des efforts accrus de vaccination sont nécessaires de toute urgence.
«C’est en fait assez choquant pour moi, et même stupéfiant pour moi, de voir qu’en 2025, nous sommes aux prises avec la rougeole au Canada ou aux États-Unis», a-t-il dit.
«Nous ne pouvons pas revenir à une époque où les enfants étaient paralysés par la polio ou mouraient de la rougeole et de la coqueluche. Nous avions parcouru un très long chemin et nous commençons maintenant à reculer, ce qui est très effrayant.»
Dans un courriel à La Presse Canadienne, une porte-parole de l’Agence de la santé publique du Canada a déclaré que l’adhésion du Canada à l’OMS «nous permet de bénéficier de la disponibilité des connaissances, des ressources et de l’expertise de la communauté mondiale».
«Le Canada continuera de travailler pour garantir que l’OMS soit une institution efficace, responsable, inclusive et bien gouvernée, tout en préservant notre souveraineté», a écrit Anna Maddison.
—
Le contenu en santé de La Presse Canadienne obtient du financement grâce à un partenariat avec l’Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est l’unique responsable des choix éditoriaux.
Nicole Ireland, La Presse Canadienne