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Les personnes placées en garde préventive contre leur gré peuvent obtenir l'indemnité

durée 13h58
21 janvier 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Les personnes souffrant de troubles de santé mentale qui ont été placées en garde préventive durant plus de 72 heures contre leur gré dans des hôpitaux auront enfin droit à une indemnité pouvant atteindre 1000 $ par jour ou portion de jour allant au-delà de ces trois jours.

L’entente qui avait été conclue en juin dernier après trois ans et demi de négociations entre les représentants d’une action collective et l’ensemble des CISSS et CIUSSS de la province est finalement entrée en vigueur, après avoir été entérinée par le juge Martin Sheehan, de la Cour supérieure, le 4 novembre dernier.

Action autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale qui menait la charge dans ce dossier, se retrouve toutefois devant une nouvelle tâche qui s’annonce aussi fort complexe, soit de retracer ces victimes.

Perdre la notion du temps

«Ça regroupe beaucoup de monde, mais c'est difficile de rejoindre ces personnes-là», a reconnu le porte-parole de l’organisme, Jean-François Plouffe, mardi, lors d’une conférence de presse visant justement à ébruiter la bonne nouvelle.

«Le seul exercice que les personnes doivent faire, c'est un petit exercice de mémoire pour se rappeler à quel moment a eu lieu cette garde et ça, ce n'est pas aussi facile qu'on pense parce que, quand on est dans le milieu de la psychiatrie, tout est organisé pour nous faire perdre la notion du temps. Il n'y a pas de calendrier, il n'y a pas d'horloges dans les unités de psychiatrie et évidemment, les gens sont dans une situation de fragilité émotionnelle qui fait qu'elles ne se souviennent pas tout le temps», a expliqué M. Plouffe.

Au-delà de ces conditions de garde, la situation des personnes qui y sont soumises représente en soi une difficulté, rappelle-t-il. «La garde et toutes les mesures autoritaires en psychiatrie, ça s'adresse beaucoup à des gens qui sont défavorisés socialement et économiquement et qui n’ont souvent pas une instruction très élaborée et qui n'ont souvent pas les moyens de se procurer les outils technologiques qui leur permettent d'avoir recours au formulaire en ligne.»

C’est la loi P-38 qui permet d’imposer une garde préventive aux personnes qui pourraient représenter un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, mais cette garde préventive ne peut dépasser 72 heures sans qu’un juge ait autorisé une prolongation.

Partout au Québec

L’indemnité est destinée aux personnes ayant subi une garde préventive qui a dépassé 72 heures entre le 1er janvier 2015 et le 4 novembre 2024, date où l’entente a été entérinée par le juge Sheehan. Elle implique le gouvernement ainsi que les 22 CISSS et CIUSSS couvrant l’ensemble du territoire, de l’Abitibi-Témiscamingue à l’Estrie et de l’Outaouais à la Gaspésie et la Côte-Nord.

Me Patrick Martin-Ménard, qui a piloté le dossier pour les requérants, n’a pas hésité à qualifier cette entente d’historique. «C'est une entente vraiment qui vise l'ensemble des gens qui ont subi une garde en établissement illégale dans les établissements qui sont nommés dans la procédure à travers le Québec. Évidemment, il n'y a pas de reconnaissance ou d'admission de responsabilité ou de reconnaissance du caractère illégal ou non de la garde», a précisé le juriste.

Québec et le réseau de la santé n’avaient guère le choix après la décision, en 2018 , de la Cour d’appel qui avait donné raison au plaignant dans l’affaire opposant un citoyen identifié par les initiales J.M. et l’Hôpital Jean-Talon et le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. Le plus haut tribunal du Québec avait conclu que de «contraindre une personne à demeurer là où elle ne veut pas (…) c’est porter atteinte à ses droits fondamentaux, à sa liberté et à l’intégrité de sa personne» et qu’une «telle intervention n’est possible que lorsque permise par la loi».

Délais déraisonnables

Avant cette décision phare, «ces délais n'étaient fréquemment pas respectés. On voyait souvent, dans notre pratique au quotidien, des gens qui pouvaient passer quatre, cinq, six, sept jours à l'hôpital avant d'être entendues par un juge qui, parfois autorisait la prolongation de la garde et parfois libérait la personne», a raconté Me Martin-Ménard.

Certes, la décision de 2018 donnait une forte prise aux personnes détenues au-delà des 72 heures permises, mais le tribunal lui-même avait reconnu «les importants défis rattachés à l'accessibilité au système de justice, a expliqué Me Ménard-Martin, comme quoi c'était extrêmement difficile pour M. et Mme Tout-le-monde d'exercer un recours en responsabilité civile et à plus forte raison, pour les gens parfois très vulnérables, parfois très isolées qui se retrouvent dans des situations de garde en établissement».

La demande d'autorisation d'action collective, initialement déposée en décembre 2020, venait résoudre cette difficulté pour l’ensemble des personnes lésées. Il aura toutefois fallu trois ans et demi de négociations avec Québec pour en arriver à cette entente qui permettra d'obtenir compensation «sans avoir à passer par tout le mécanisme compliqué d'une poursuite en responsabilité civile ou une poursuite aux petites créances avec l'ensemble des obstacles qu'une telle démarche peut avoir», a fait valoir Me Martin-Ménard.

Impact de la Cour d'appel

Il est clair, toutefois, que la décision de la Cour d’appel a eu un impact majeur sur la situation dans de nombreux établissements hospitaliers qui, avant cette décision, traitaient le délai de 72 heures comme une suggestion plutôt que comme une obligation légale. Ainsi, par exemple, selon les données présentées par Action autonomie, la durée moyenne de garde préventive en 2014 était de 136 heures, soit près du double que les trois jours permis par la loi. En 2021-2022, soit après le jugement de 2018, la durée moyenne avait chuté à 76 heures, soit encore un peu au-delà des 72 heures permises, mais nettement moins qu’avant que le tribunal ne vienne avertir les établissements de l’illégalité de leurs procédures.

Impossible de savoir, pour l’instant, combien de personnes seront admissibles à l’indemnisation. Jean-François Plouffe a fait état d’un «potentiel de plusieurs dizaines de milliers de personnes». D’autres estimations avancées dans le passé font plutôt état de 500 à 3000 personnes.

L’entente totalise 8,5 millions $, une enveloppe principalement divisée en deux, soit un peu plus de 3,5 millions $ pour les personnes placées sous garde préventive plus de 72 heures contre leur gré ou sans l’autorisation d’un tribunal, et un montant presque équivalent à être distribué aux organismes de santé mentale des différentes régions du Québec. Le reste ira en frais d’avocat et en frais d’administration de l’entente.

En tant que requérant, Action autonomie n’aura pas droit aux sommes destinées aux organismes, mais l’organisme se dit très satisfait de l’entente.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne