Le démantèlement, de Sébastien Pilote: à voir sur grand écran
Par Philippe Doucet
Si vous aimez réellement le cinéma, vous devez voir ce film. Voilà, c’est dit.
Gaby (Gabriel Arcand) élève depuis 40 ans des agneaux sur sa petite ferme familiale. Solitaire et indépendant, il aimerait que ses deux filles, qui habitent à Montréal, viennent le voir plus souvent. Lorsque sa fille aînée Marie (Lucie Laurier) lui annonce qu'elle souhaite divorcer de son mari et qu'elle a besoin d'argent pour conserver sa maison, Gaby cherche un moyen de l'aider. Il envisage alors de démanteler sa ferme, de tout vendre, du troupeau à la maison, et d'aller habiter dans un petit appartement, en ville. À la veille de la vente aux enchères, son autre fille, Frédérique (Sophie Desmarais), une actrice émergente, vient aussi le voir.
Le démantèlement c’est l’histoire de la vie. Je sais, ça semble galvaudé comme explication, mais rarement cela a-t-il été plus juste. C’est l’histoire simple d’un père qui parle peu, principalement parce qu’il est seul, mais aussi parce que c’est ça être un père. Être un père en région éloignée qui plus est, dans un monde agricole, un monde en phase terminale.
Un père qui vit par procuration pour ses filles, un homme qui ne sait pas dire «non», un homme qui ne sait pas dire…
«Tout le monde croit que sa ferme, c’est sa vie. Mais sa ferme, elle lui a tout enlevé, il ne voit plus ses filles, sa femme l’a quitté, il est enchaîné à ses bâtiments. Il est devenu taciturne, renfermé, il ne parle presque plus. Mais il aime ses filles et il veut les aider», mentionne Gabriel Arcand, qui porte ce film comme s’il s’agissait de sa propre histoire.
«Je viens d’une famille de marins, pour moi l’apprentissage a été difficile. Je croyais avoir travaillé dur dans ma vie, mais les producteurs que j’ai rencontrés, qui sont devenus des amis, eux, ils travaillent dur. Ça m’a permis de porter un rôle extraordinaire, un véritable privilège», confie-t-il.
Le réalisateur Sébastien Pilote signe ici son deuxième long métrage (Le vendeur, en 2011). «J’ai voulu montrer une histoire simple qui traite de quelque chose de plus complexe, de plus enraciné. Le paradoxe entre les images lumineuses et le scénario plus sombre sert aussi à démontrer cette vision, sans tomber dans le misérabilisme», explique le réalisateur.
Un film lumineux
Le démantèlement c’est un film au propos lourd, qui fait parfois mal, qui fait beaucoup réfléchir. Sur la situation du monde agricole bien sûr, mais surtout sur ces relations familiales propres au Québec. Cette société où la communication est devenue égocentrique et où on n’écoute que très peu l’autre. «Le personnage de Marie c’est un peu ça. Elle ne s’intéresse pas aux autres, mais comment peut-elle s’intéresser aux autres si personne ne lui parle? Elle est le produit d’une relation fermée, d’une société fermée», exprime Lucie Laurier qui interprète Marie, la fille de Gaby, par qui le démantèlement arrive.
Si le propos peut porter à croire que le film est sombre, il ne faut pas s’y laisser prendre. Au contraire, le film est essentiellement lumineux. Dans sa livraison d’abord. Les plans sont à couper le souffle, il faut les voir au grand écran. Chaque scène respire le grand air, l’horizon. Mais le film est aussi lumineux parce que, comme l’évoque Gilles Renaud qui interprète Louis, l’ami comptable de Gaby : «par ce démantèlement, Gaby, se libère de l’ancre qui l’attache à sa position d’éleveur. Il peut enfin aller voir sa fille jouer au théâtre, il peut enfin s’ouvrir au monde.»
Il y en aurait tant à raconter sur ce film, profondément touchant. Le démantèlement est un film à voir au cinéma. Pour plusieurs raisons. D’abord la beauté de la livraison, les panoramas, l’image en soi qui est magnifique. Ensuite, les yeux de Gabriel Arcand, par où passent toutes les émotions du film, ces tempêtes qui sont vécues de l’intérieur et dont les yeux représentent la seule fenêtre. Et enfin, parce que dans 20 ans, quand on parlera encore de ce grand film, vous pourrez vous vanter de l'avoir vu au cinéma.
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