Si les eaux usées municipales pouvaient parler
Chimiste analyste de formation, le professeur en criminalistique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), André Lajeunsse, mène présentement un projet de recherche susceptible de contribuer au profilage de drogues grâce aux renseignements fournis par les eaux usées des municipalités.
À ce jour, peu d’études ou d’outils d’investigation sont disponibles pour estimer les taux de consommation de drogues dans une municipalité, encore moins dans les effluents municipaux.
« Lorsqu’un individu consomme une drogue illicite, il élimine une partie de cette drogue dans son urine ou ses selles. Des traces de drogues se retrouvent alors à dans les eaux usées. Ces dernières sont ensuite traitées dans une usine d’épuration. Toutefois, les procédés actuels de désinfection des eaux usées n’éliminent que très peu les produits pharmaceutiques. [...] Ainsi, dans les effluents d’une ville, soit les liquides ressortant de l’usine de traitement des eaux, il demeurerait une trace de l’activité humaine liée la consommation de drogues illicites. En mesurant cette trace, il serait possible de fournir des renseignements pertinents d’investigation », explique M. Lajeunesse.
Trois drogues ciblées pour l’instant
Pour ce projet, André Lajeunesse, accompagné de son assistant de recherche, Nicolas Gilbert, étudiant à l’UQTR au baccalauréat en chimie avec profil criminalistique, ont ciblé trois drogues: la cocaïne, l’ectasy et le fentanyl. Pour extraire les substances de l’échantillon liquide, les deux acolytes utilisent des résines.
« Chaque drogue vient s’accrocher à une résine spécifique grâce à des liens ioniques. La présence de drogues est ensuite vérifiée avec l’aide d’un spectromètre de masse. Cet appareil permet de détecter des traces infimes d’un produit, ce qui est très utile pour notre projet, car les drogues présentes dans un effluent équivalent à quelques grains dissous dans une piscine olympique », explique-t-il.
À la suite de tests, M. Lajeunesse et son assistant confirment la présence dans l’échantillon des trois drogues étudiées. La matière se retrouvait soit sous forme biotransformée ( métabolites) ou sous sa forme initiale.
« Pour estimer ensuite le taux de consommation de ces drogues pour l’ensemble de la municipalité, il nous a fallu effectuer des calculs prenant en compte différents facteurs : le pourcentage de drogue excrété par le corps humain, le débit d’eau de la station d’épuration, le nombre de personnes desservies par l’effluent et la valeur d’une dose normale de drogue. Peu importe la ville qui est étudiée, le signal est normalisé en fonction de différents paramètres. Toutes les grandes villes n’échappent pas aux drogues illicites. Ce qu’il faut mettre de l’avant, c’est ce nouvel outil d’investigation qui pourra être utile pour deux volets. Dans un premier temps, il y a le côté prévention en santé et sécurité pour la population et il y a le côté criminalistique qui pourra aider à établir des bases de données pour être en mesure de créer des liens », souligne le chimiste analyste qui souhaite publier, d’ici un an, ses travaux dans un article scientifique avec la collaboration de M. Gilbert.
Pour obtenir une idée plus précise de la répartition de la consommation de drogues dans une ville, l’analyse des eaux usées pourrait aussi s’effectuer dans différents secteurs de la municipalité. Au lieu de prélever un échantillon d’eau en aval de l’usine de traitement, des spécimens seraient recueillis à divers endroits de la ville, dans des collecteurs d’eaux non traitées.
À noter que la présence de drogues dans les eaux usées n’est pas préoccupante pour la santé humaine à cause de la trop petite quantité.
* Source: communiqué de l'UQTR
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