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Un projet de parc éolien privé divise la population en Mauricie

durée 10h00
7 octobre 2024
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Par La Presse Canadienne

Une lutte pour gagner l'opinion publique est en train de se jouer en Mauricie, annonciatrice d'autres batailles qui pourraient se profiler dans les années à venir avec de grands projets industriels pour décarboner le Québec.

Ici et là, tout le long de la route 153, à Hérouxville et à Saint-Tite, on aperçoit de petites affiches sur lesquelles on peut lire: «non à la privatisation». Au centre d'un cercle rouge, une éolienne domine un village. Une ligne diagonale rouge tranche le cercle et il est écrit: «en zone habitée».

Elle cible une grande entreprise qui dit avoir déjà consulté 2000 à 3000 personnes, prépare son évaluation environnementale à toute vapeur, signe plus de contrats qu'il ne lui en faut avec des propriétaires de terrains pour ériger des éoliennes, tandis que plusieurs élus municipaux se sentent bousculés dans le processus et préféreraient qu'Hydro-Québec devienne maître d'œuvre du projet éolien.

«C'est un peu le Far West», confie une source qui s'occupe entre autres des consultations.

L'affichette, fournie par le parti Climat Québec de l'ancienne ministre péquiste Martine Ouellet, symbolise l'opposition aux parcs éoliens censés alimenter la future usine d'hydrogène de TES Canada, à des dizaines de kilomètres de là, à Shawinigan.

De l'autoproduction donc: l'entreprise produirait sa propre électricité pour approvisionner son usine, plutôt que de compter uniquement sur un bloc d'énergie d'Hydro.

Un projet «compliqué»

Même le promoteur reconnaît en entrevue que le projet de TES, lancé le 9 novembre dernier, est «compliqué».

Il s'agirait d'un des plus puissants parcs éoliens du Québec, 130 éoliennes, 800 mégawatts sur 70 hectares au total, et ce serait le premier sur le territoire de la MRC de Mekinac.

«C'est là-dessus que tout le monde se concentre, les gens passent beaucoup de temps à essayer de comprendre ça», a commenté le grand patron de TES Canada, Éric Gauthier, au cours d'un entretien à La Presse Canadienne, dans une ancienne usine convertie qui témoigne du passé industriel de Shawinigan.

«L'éolienne est dans leur cour arrière, alors c'est ça qui est tangible, personnel pour eux: pas dans ma cour.»

La MRC a été prise au dépourvu: elle n'avait même pas de règlement pour encadrer ce type d'activité, parce qu'on jugeait autrefois son gisement de vent trop faible. Elle en a adopté un, provisoire, mais qui a été refusé récemment par le gouvernement du Québec.

Le règlement prévoit des distances minimales, l'établissement de servitudes pour obtenir l'approbation des voisins, etc.

Il a été confectionné pour aller chercher «une certaine acceptabilité sociale», a soutenu le maire de Saint-Adelphe, Paul Labranche.

C'est dans sa municipalité qu'il pourrait y avoir le plus d'éoliennes. Mais la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) aura son droit de veto sur chacune des éoliennes.

«Des règlements parfaits, il n'en existe pas, tôt ou tard, il y a tout le temps quelque chose qui va brimer quelqu'un», conclut-il, après 24 ans à la mairie de Saint-Adelphe.

Prendre le pouls

Que pense la population du projet?

«C'est dur de prendre le pouls exact», témoigne-t-il, en pesant soigneusement ses mots, dans le modeste bureau d'un bâtiment qui sert à la fois d'hôtel de ville... et de garderie.

M. Labranche ne sait même pas si elles seront visibles de son bureau, mais il sait toutefois que certaines feront 200 m de hauteur.

«Les opposants s'expriment, c'est correct, mais ceux qui sont plus en accord se présentent moins dans nos séances, vont le dire verbalement, mais ne veulent pas s'afficher. Il y en a qui ont peur d'être ciblés.»

«En réalité, c'est beaucoup plus nous qui nous faisons intimider», argue pour sa part un porte-parole des opposants, Dany Janvier, qui a lancé une page Facebook pour rassembler les anti-TES.

Le gouvernement Legault et ses députés de la région appuient l'investissement de TES Canada, ils ont applaudi à l'annonce, mais des élus locaux ont la désagréable impression que depuis, on les a abandonnés.

«Nous avons été laissés à nous-mêmes et je trouve ça malheureux qu'on n'ait pas eu plus de soutien, a déploré M. Labranche. Ce n'est pas à la municipalité ou à la MRC de défendre ce projet.»

Le ministre responsable de la Mauricie, Jean Boulet, estime plutôt que le gouvernement contribue, à sa façon, par son encadrement réglementaire, à informer la population et les élus.

«Il y a un enjeu de pédagogie, il faut constamment consulter, expliquer», a-t-il dit, dans une entrevue avec La Presse Canadienne, en mettant l'accent sur la pertinence du projet.

«L'important, c'est de respecter notre objectif de décarbonation, ce projet a sa valeur ici.»

Parlant de valeur: les redevances. TES Canada évoque une fourchette entre 40 000 et 70 000 $ par éolienne. Elles seraient partagées entre le propriétaire du lot, ses voisins et la municipalité.

Pour Saint-Adelphe, c'est environ 26-27 000 $ par an par éolienne pendant 20 ans, explique M. Labranche, sur un budget annuel d'environ 2 millions $. Mais c'est «brut», pas «net», ajoute-t-il, considérant qu'il faudra refaire les routes après le passage des nombreux camions.

«C'est trop tôt pour dire que je suis d'accord ou pas d'accord» avec le projet, tranche le maire.

On se déplace vers Sainte-Thècle, où 6 à 10 éoliennes pourraient être dressées.

Une affiche anti-éolienne est accrochée sur le balcon d'une maisonnette. On cogne à la porte. Une femme d'âge mûr avec un tablier maculé de peinture ouvre.

Invitée à nous accorder une entrevue, elle répond: «Je travaille, il va falloir repasser», dit-elle avant de refermer la porte.

Le maire de Sainte-Thècle, Éric Blouin, est le seul élu qui a accepté de se rendre à un des rassemblements d'opposants, qui avait lieu dans sa localité.

«Je leur ai dit: 'faites ben attention'», se rappelle-t-il. Il leur a ainsi lancé un avertissement contre la polarisation et la démonisation des adversaires.

«La discussion s'en va dans la direction: 'si tu es contre, c'est correct, si tu es pour, tu es un cave, et si tu n'es pas décidé, tu es un cave'».

La mise en garde s'est retournée contre lui: «Ils ont dit: le maire de Sainte-Thècle nous a traités de caves.»

Il nous reçoit dans son vignoble en pente où il a planté un hectare de pinot, au bout d'un quartier de bungalows, sur la terrasse de son petit comptoir/bar à vin, par un après-midi ensoleillé.

M. Blouin montre au loin des zones où des éoliennes pourraient être installées.

«On verrait peut-être les têtes» des éoliennes, dit-il en pointant à quelques kilomètres.

La bataille de TES, il n'a connu que ça depuis qu'il s'est lancé en politique municipale, après avoir passé plusieurs années sur la Côte Ouest à travailler dans le domaine du vin.

Il a été élu en novembre 2023, juste avant que le projet soit annoncé à Shawinigan. Depuis, l'enjeu a pratiquement été abordé dans chaque séance du conseil.

Un climat d'intimidation s'est installé. Il raconte. Des citoyens ont reconnu avoir signé des pétitions contre le projet parce qu'ils n'osaient plus faire valoir une position divergente.

«Les gens signent des pétitions pour ne pas faire de vagues. Est-ce que ce sont 900 opposants virulents? Non!»

Ou encore, un de ses concitoyens a exprimé son opinion favorable dans les médias.

«On a menacé de brûler sa maison... Faut en revenir!»

L'agriculteur en question était ouvert à installer une éolienne sur un éperon rocheux de sa terre.

C'est courant ici, car pas moins de 47 % du territoire de Mekinac est classé 7, rappelle le maire, c'est-à-dire un sol n'offrant aucune possibilité pour la culture ni pour le pâturage permanent.

«Ce n'est pas le garde-manger du Québec ici», assure M. Blouin, pour ainsi démolir un mythe que véhiculeraient des opposants.

«Les gens sont émotifs et devraient faire la part des choses», poursuit-il.

«Avec des gens pour qui il n'y a qu'une option, pas d'éoliennes du tout, ce n'est pas possible d'avoir un dialogue. C'est dur pour tout le monde. Personne n'ose se prononcer en public ou poser des questions, pour ensuite se faire traiter de cave!»

Éric Blouin entretient lui-même pourtant de sérieuses réticences. Comme d'autres élus municipaux, il préférerait qu’Hydro devienne le promoteur du parc éolien, ou encore, que les municipalités puissent être propriétaires avec les communautés autochtones.

TES Canada a été annoncé alors qu'Hydro a fait savoir qu'elle sera désormais elle-même maître d'œuvre de grands projets éoliens plutôt que de lancer des appels d'offres au privé.

«Nous, on est comme le dernier gros projet privé approuvé, puis la porte nous ferme dans la face?» image le maire de Sainte-Thècle.

On se déplace vers Hérouxville. Devant une demeure qui donne directement sur la 153, une affiche d'opposant. Dans la cour, une voiture avec une plaque «retraité».

Deuxième essai. Un chien aboie. Une femme ouvre... et nous referme la porte au nez, dès que la demande d'entrevue est formulée.

Destination Grandes-Piles, moins de 600 habitants, sur un territoire qui n'a rien d'agricole et qui devrait recevoir entre 6 et 9 éoliennes dans l'arrière-pays.

La mairesse Caroline Clément, préfète de la MRC de Mekinac, nous reçoit dans un parc à deux pas du Saint-Maurice, qui coule paisiblement au bas d'une pente.

Elle n'a pas été mise au courant à l'avance et n'avait pas été invitée à l'annonce de l'usine en novembre dernier, mais elle s'y est rendue quand même, estimant que sa localité allait en vivre les impacts.

«Ça a mal commencé», en a-t-elle conclu.

Ses concitoyens sont partagés, tout comme son conseil. Elle ne sent pas la polarisation, sauf aux séances de la MRC, et elle refuse de se prononcer sur le projet.

Elle se rappelle d'avoir enchaîné deux appels téléphoniques, un avec un opposant viscéral, l'autre avec un partisan.

«Je suis qui, moi, pour dire que ses valeurs ne sont pas bonnes? (...) J'essaie de parler autant pour les pour et les contre, d'avoir une voix pour tout le monde. (...) Ce n'est pas à nous à trouver la baguette magique pour l'acceptabilité sociale.»

Le caractère privé du parc éolien constitue un «gros irritant», résume-t-elle, tout comme l'absence selon elle du gouvernement et de l'entreprise pour défendre ce «projet-pieuvre», pour reprendre les mots de la mairesse.

Or TES Canada laisse entendre que son projet doit se tenir comme un tout cohérent et ne peut être morcelé.

«Il n'y a pas de production d'hydrogène sans éoliennes et sans panneaux solaires», a énoncé Éric Gauthier.

«Les gens ont beaucoup de questions sur l'éolien, mais oublient que tout ça est rattaché à un ensemble. C'est compliqué à comprendre, mais ça prend cette compréhension pour poser un jugement. (...) C'est là qu'est la difficulté, notre capacité à bien communiquer le projet et ses composantes.»

«Je ne suis pas inquiet, ils vont bien nous rémunérer, parce qu'ils ont besoin de nous et moi, je n'ai pas besoin d'eux, je vis très bien de même!», anticipe Daniel Allard, un agriculteur céréalier, entrepreneur, propriétaire de multiples terres à Saint-Narcisse et dans d'autres villages avoisinants.

Il interrompt brièvement ses activités pour nous parler à son entrepôt, pendant que des céréales sont transbordées avec des tracteurs, soulevant des nuages de poussière sur la terre sèche.

Voyant qu'il était propriétaire de nombreux lots, le promoteur l'a approché il y a plusieurs mois pour son tester son intérêt à accueillir des éoliennes. Il ne sait pas encore combien, ni les montants qui lui seront versés en redevances.

M. Allard croit au projet TES. Il juge qu'il faut des sources d'énergie vertes alternatives pour produire de l'hydrogène qui servira à décarboner le Québec.

L'entrepreneur voit dans les redevances des éoliennes un revenu stable pour compenser les aléas des saisons, les changements climatiques et les fluctuations de la bourse des denrées agricoles de Chicago.

«Ça va être comme ma couverture d'assurances», image-t-il.

Un de ses voisins, ancien commerçant à Berthier, l'a sermonné et tenté de le convaincre de dire non aux éoliennes, en plaidant qu'elles étaient polluantes.

M. Allard lui a demandé: «Toi, tu as voyagé combien de fois en avion? Ah ouais? Six fois l'automne dernier? La conversation s'est arrêtée là.»

Il déplore que «les gens soient contre tout». Lui estime qu'il contribuera ainsi à dépolluer le Québec, et en outre, les redevances enrichiront sa municipalité.

«Le tiers des redevances vont aller à la municipalité, peut-être qu'on va avoir un aréna!»

Patrice Bergeron, La Presse Canadienne

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